vendredi 14 septembre 2018

Les romans a structure brisée. Contribution des auteurs latino-américains contemporains à l’évolution du genre romanesque hispano-américain


UNIVERSIDAD DE BANGUI

REPÚBLICA CENTROAFRICANA
FACULTAD DE LETRAS Y

Unidad - Dignidad - Labor
CIENCIAS HUMANAS

------------------




DEPARTAMENTO DE

              ESPAÑOL        

    N° 02















.

Les romans a structure brisée. Contribution des auteurs latino-américains contemporains à l’évolution du genre romanesque hispano-américain









Dr PANGUERE Jean Michel

















Boletín informativo de la sección hispánica





Les romans à structure brisée. Contribution des auteurs latino-américains contemporains a l’évolution du genre romanesque hispanO-AMERICAIN.

Dr. PANGUERE JEAN - Michel

                                                                                                                                Universidad de BANGUI - RCA





            A la fin du millénaire écoulée, la littérature hispano–américaine en général et le genre romanesque en particulier, s’était bien souvent distinguée par son dynamisme. Nous en voulons comme témoignage les nombreuses récompenses obtenues, les traductions multiples dans plusieurs langues comme l’anglais, l’arabe, le français, le russe, le japonais et les publications, en concomitance,  de ces romans sur plusieurs continents par les grandes maisons d’édition. Les prix nobels décernés à quelques auteurs du continent latino-américain, sont la marque du couronnement de la créativité de ces hommes qui veulent se démarquer du moule séculaire dans lequel était enfermé le roman hispano-américain. Les nombreux articles critiques rédigés et publiés dans des revues littéraires mondialement diffusées nous édifient sur la qualité des romans primés.

            Cette créativité se note parfois, dans la thématique développée par ces auteurs contemporains qui mettent en exergue l’exubérance de leur milieu naturel ou l’aridité de la région où ils veulent bien fixer leurs fictions narratives. Lorsque le lecteur se trouvent confronter à des réalités comme celles des gauchos ou celles des caciques, des cristeros ou mieux encore des mojados, il ne peut se référer qu’à des réalités sociales propres à ce continent à multiple facettes. Nous conviendrons que l’immensité du continent latino–américain nous réserve bien souvent des tableaux saisissant de beauté où le lecteur croit se retrouver dans un environnement proche de celui du jardin d’eden. De temps à autre la désolation du paysage ou l’aridité des terres sur lesquelles se meuvent les personnages, nous rappelle que ce continent n’est pas toujours paradisiaque. Loin de se confiner dans un régionalisme primaire, ces auteurs ont su placer leurs personnages dans un cadre qui est devenu une identité remarquable. Les thèmes développés touchent à l’universel, de telle sorte qu’un lecteur qui plonge dans un roman hispano–américain contemporain n’est pas du tout dénaturé.

            Ce qui a surtout retenu notre attention dans les romans hispano-américains contemporains, c’est l’ingéniosité que d’aucun note dans la composition de ces œuvres romanesques. Chaque roman est pensé, conçu et rédigé comme une œuvre d’art. Les écrivains latino-américains de la fin du XXème siècle se sont ingéniés à créer des romans avec des structures de plus en plus alambiquées, de plus en plus complexes, sollicitant par ce fait une grande participation du lecteur. Pour comprendre le roman, le lecteur doit jouer un rôle actif et non pas passif. C’est ainsi que nous sommes arrivé à nous demander si les romans à structure brisée n’étaient pas devenus une spécificité du roman latino-américain en général et plus particulièrement du roman mexicain ? Afin d’étayer notre sollicitude, nous nous sommes appuyé sur quatre romans fort connus d’auteurs, tous mexicains, qui présentent des structures complètement différentes les unes des autres. Nous voulons évoquer Manifestación de Silencios[1], La casa de las Mil Vírgenes[2] de Arturo Azuela, Pedro Páramo[3] du célèbre Juan Rulfo et La muerte de Artemio Cruz[4] de Carlos Fuentes.







































I – La structure de Manifestación de silencios

            C’est un roman dont la lecture semble chaotique et hermétique de prime abord. Le lecteur est tout au long du roman ballotté entre deux plans de narrations distincts et les fréquentes prolepses[5] et analepses[6] ne viennent pas arranger les choses. C’est pourquoi dans un souci de méthodologie et de plus de clarté, nous avons choisi de présenter tout d’abord la structure de la première partie et ensuite celle de la deuxième partie.



I – I  Structure de la première partie

            En analysant ce roman de Arturo Azuela, nous avons observé qu’il existait en fait deux plans de narration parallèles qui sont consacrés à deux des personnages principaux du roman, à savoir Gabriel et José Augusto Banderas. Le premier personnage cité est tout spécialement revenu au Mexique pour faire la lumière sur une affaire de crime passionnel  commis par son ami José Augusto Banderas dans un moment de folie ; l’autre redoutant la justice de son pays sera contraint de fuir à travers le monde grâce à des complicités dont il bénéficie. C’est ainsi que tour à tour, il se retrouvera au Chili, aux Etats Unis d’Amérique, en Espagne, en France et ensuite en Grande Bretagne.

            Le lecteur est ainsi obligé, surtout dans la première partie, de subir le mouvement de va et vient entre les deux plans de narration parallèles car de nouveau le narrateur hétérodiégétique textuel aura agencé les chapitres du roman de telle sorte que si l’un est dédié à Gabriel qui se trouve au Mexique, le suivant sera consacré à José Augusto Banderas qui lui, se trouvera quelque part dans le monde. La distribution des chapitres est si régulière que nous pouvons nous aventurer à faire sans peine, une représentation graphique de la structure de la première partie pour étayer nos assertions.  A côté des deux personnages principaux à qui l’écrivain consacre des plans de narration, nous retrouverons des personnages qui eux, se trouvent à México et à qui le démiurge a réservé quelques chapitres pour éclaircir la narration. Laura par exemple, l’amie intime de José Augusto sera celle qui donnera au narrataire l’information sur une lettre expédiée par José Augusto Banderas à sa mère et que celle – ci ne lira jamais.

             Buenaventura, lui nous donnera de plus amples informations sur la Chappe de plomb qui s’est abattue sur les étudiants mexicains après les grèves de 1968.








Gabriel          _ * _ _ _ * _ _ _ * _ _ _ _ * _ _ * _ _ _ _ _ * _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ * _ _ _ _ _ _



Laura             _                                                                                      *



Buenaventura_                                                             *



J.A.Banderas_  _ _   * _ _ __ * _ _ _ _* _ _ _ _ _* _ _ _ _ _ _ _ _  * _ _ _ _ _ * _ _ _ _ _ _ * _ _



            ____________________________________________________________________________

                         1      2     3      4      5      6      7      8      9      10      11      12     13      14     15     16                                               SCHEMA I : Première partie[7]





I – II  Structure de la deuxième partie






Gabriel             _ _ _ _ _ _ _ _ _ * _ _ _* _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ * _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _  _*



Cristobal                                                          *  



Laura                         *                  *                                                         *



Buenaventura                 *                                                 *                               *



J.A.Banderas  _  * _ _ _ _ _* _ _ _ _ _ _ _ * _ _ _ * _ _ _ _ _ _ _ * _ _ _ _ _ _ _ * _  _* _ _ _     






                       1    2    3    4    5    6    7    8    9    10    11    12    13    14    15    16    17    18



                                                  SCHEMA II: Deuxième partie[8]



II – La structure de la casa de las mil vírgenes

Si nous nous restreignons à Arturo Azuela, nous constatons que celui-ci récidive dans l’utilisation de la structure brisée dans son oeuvre romanesque car si nous prenons La casa de las mil vírgenes, nous constaterons que la lecture semble chaotique. La simple lecture de la table des matières peut nous donner de précieuses indications. Tout comme dans le précédent roman que nous venons d’examiner, nous aurons des chapitres qui seront uniquement consacrés à un personnage capital du roman : il s’agit de Aliba el bolero. Nous aurons des chapitres numérotés de un à huit qui lui seront dédiés, à raison de deux chapitres par parties, sur une œuvre romanesque qui en compte quatre.

            Ensuite nous aurons une série de chapitres qui feront référence à des dates bien précises. Il y en aura tout au plus quatre que l’auteur a intitulé : Intermède. L’intermède un se situera au mois de mai mil neuf cent quarante–cinq, l’intermède deux qui se trouve dans la deuxième partie du roman aura lieu au mois d’octobre mille neuf cent cinquante–quatre, l’intermède trois dans la troisième partie, au mois de septembre mille neuf cent soixante et un et l’intermède quatre, le dix juin mille neuf cent soixante–onze.

            Nous aurons par la suite une série de chapitres numérotés normalement de un à cinq dans chaque partie du roman et comme celui-ci compte quatre parties, il est évident que nous totaliserons vingt chapitres que nous qualifierons de classiques. Entre les chapitres datés faisant référence à des événements historiques précis, les chapitres consacrés au personnage pittoresque de Aliba et les chapitres classiques traitant de la Casa de las Mil Vírgenes et du groupe d’amis qui la fréquente, le lecteur non averti aura fort à faire. Les prolepses et les analepses ajouteront une touche de confusion et de non linéarité dans l’esprit du lecteur qui ne sera pas habitué à cette forme de narration peu répandue qui tend à devenir une spécificité du nouveau roman hispano-américain.

            Mademoiselle Thiébaut Stéphanie en procédant à une étude du temps dans la même œuvre romanesque a tenté de percer le secret de cette structure énigmatique que nous propose Arturo Azuela. Pour parvenir à fixer la chronologie du temps dans ce roman, elle a adopté une méthode qui est toute simple qui consiste à partir de la seule date complète figurant dans le chapitre III de la quatrième partie afin de dater les autres chapitres du roman. En cela elle est également aidée par les dates incomplètes ou volontairement confuses que l’auteur nous donne tout au long de la narration comme : C’est l’après midi du dernier vendredi du mois de novembre…par exemple à la page deux cent seize, ou Cette nuit d’un jeudi du mois de novembre…à la page cent trente-quatre.

            Par rapport aux recherches qui ont été effectuées sur le temps dans cette fiction narrative, nous remarquerons que l’histoire s’étend sur une semaine : c’est–à–dire du lundi  24 novembre 1952 au lundi 1 décembre de la même année. Voici comment cette dernière nous présente la chronologie du temps dans La casa de las mil vírgenes :



            Ira Parte: en el umbral

                                    Cap. I, p.11                Lunes de noviembre (de 1952)                      [ día 24 ]

                        Aliba [ 1 ], p.19                      Junio de 1983

                                    Cap. II, p.28               Martes de noviembre (de 1952)                    [ día 25 ]

                        Intermedio 1, p. 35                 Mayo de 1945

                                    Cap. III, p.43              Martes de noviembre (de 1952)                    [ día 25 ]

                        Aliba [ 2 ], p.51                      Junio de 1983

                                    Cap. IV, p.60              Miércoles de noviembre (de 1952)                [ día 26 ]

                                    Cap. V, p.68               Miércoles de noviembre (de 1952)                [ día 26 ]



            IIa Parte : Qué suerte la mía

                                    Cap. I, p.77                Miércoles de noviembre (de 1952)                [ día 26 ]

                        Aliba [ 3 ], p.87                      Junio de 1983

                                    Cap. II, p.94               Jueves de noviembre (de 1952)                     [ día 27 ]

                        Intermedio 2, p. 103               Octubre de 1954

                                    Cap. III, p.112            Jueves de noviembre (de 1952)                     [ día 27 ]

                        Aliba [ 4 ], p.126                    Junio de 1983

                                    Cap. IV, p.132            Jueves de noviembre (de 1952)                     [ día 27 ]

                                    Cap. V, p.140             Jueves de noviembre (de 1952)                     [ día 27 ]



            IIIa Parte: Entre el paraiso y el infierno

                                    Cap. I, p.149              Viernes de noviembre (de 1952)                    [ día 28 ]

                        Aliba [ 5 ], p.159                    Junio de 1983

                                    Cap. II, p.167             Viernes de noviembre (de 1952)                    [ día 28 ]

                                    Cap. III, p.174            Viernes de noviembre (de 1952)                    [ día 28 ]

                        Intermedio 3, p. 185               Setiembre de 1961

Cap. IV, p.196            Día no mencionado : ningún indicio temporal preciso, salvo p.202 : “ Y esa última semana de noviembre”.

                        Aliba [ 6 ], p.205                    Junio de 1983

Cap. V, p.214              Viernes de noviembre (de 1952)                    [ día 28 ]



            IVa Parte: La última jugada

                                    Cap. I, p.225              Sábado de noviembre (de 1952)                    [día 29]

                                                                       (Precisión del año)

                        Aliba [ 7 ], p.235                    Junio de 1983

                                    Cap. II, p.244             Sábado de noviembre (de 1952)                    [ día 29 ]

                        Intermedio 4, p. 255               10 de junio de 1971

                                    Cap. III, p.266            Domingo30 de noviembre de 1952

                                                                       (Fecha completa)

                                    Cap. IV, p.275            Lunes 1 de diciembre de 1952

                                    Cap. V, p.282             Lunes 1 de diciembre de 1952

                        Aliba [ 7 ], p.235                    Junio de 1983



Durante la lectura, notamos que está salpicado el texto de numerosas retrospecciones y prospecciones (1), emitidas por el narrador [ ... ] por su carácter oscuro, estas vuelven la lectura de los acontecimientos aún más complicada.[9]



            Nous partageons la méthode employée par mademoiselle Stéphanie Thiébaut pour fixer la chronologie de la fiction narrative à partir des points de repères qui sont fournis par le narrateur dans l’œuvre romanesque. Nous ne reviendrons pas sur les chapitres intitulés «  Intermedio  » car ils comportent déjà des dates qui ont été précisées par l’auteur. Par contre nous choisirons quelques exemples pour montrer pourquoi les chapitres consacrés à Aliba se situent en 1983 et pourquoi les autres chapitres courent du lundi 24 novembre au lundi 1 décembre 1952. Nous ne reviendrons pas non plus sur tous les chapitres dédiés à Aliba car cela rendrait le travail fastidieux. Voici une citation dans laquelle il est fait mention de l’année :

Sin acudir a criticas, insultos o reparos, abandonados en las butacas, entre la venta de pistaches y de muéganos y con los viejos olores a orines y desinfectantes, llegaríamos a un acontecimiento categórico : La Ilusión viaja en Tranvía es una obra espléndida de la época de oro del cine mexicano.

Esa noche de junio de 1983, quizá como nunca desde hacía treinta años, otra vez quise vivir en la calle del Pino –hoy doctor Atl– en el costado oriente de la Alameda de Santa María la Ribera...[10] 



            Pour démontrer que les autres chapitres se déroulent en mille neuf cent cinquante – deux, nous allons choisir une autre citation du roman où le narrateur nous donne ce repère chronologique nécessaire pour situer le lecteur :

Por fin, después de un largo descanso –primero en el hospital hasta esperar la suerte del Tiliches y luego en su casa del Naranjo – el viejo Federico volvió a las calles de Santa María aquel último sábado de noviembre de 1952.[11]



            De prime abord c’est un roman dont la lecture n’est pas du tout facile, mais en l’examinant minutieusement nous pouvons découvrir que l’articulation de ce roman obéit à des critères mathématiques. Voici le schéma de la structure du roman que nous avons établi après avoir méticuleusement examiné le roman de Arturo Azuela :

                                                                                                                                    - Capítulo I

                                                                                                                                                                                 - Aliba (1)  Junio de 1983                                                    

                                                                                                                                                                                 - Capitulo II

                                                                                           1era Parte                                                                     - Intermedio 1

                                   - Capítulo III

                       - Aliba  ( 2 ) Junio de 1983

                                   - Capítulo IV

                                   - Capítulo V



                                                                                                                                    - Capitulo I

                                                                                                                                                                                 - Aliba (3 )  Junio                        

                                                                                                                                                                                 - Capítulo II

                                                                                              2nda Parte                                                                - Intermedio 2

                                   - Capítulo III

                                   - Aliba  (4 ) Junio de 1983

                                   - Capitulo IV

                                   - Capítulo V





La casa de las mil vírgenes

                                   - Capítulo I

                                                                                                                                                                                 - Aliba ( 5 )  Junio de 1983                                                    

                                                                                                                                                                                 - Capitulo II

                                                                                              3ra Parte                                                                     -  Capítulo III 

                                    - Intermedio ( 3 )

                                    -  Capítulo IV  

                                    -  Aliba  ( 6 ) Junio de 1983

                                    - Capítulo V



                                    - Capítulo I

                                                                                                                                                                                  - Aliba ( 7 )  Junio de 1983                                                    

                                                                                                                                                                                  - Capitulo II                   

                                                                                              Cuarta Parte                                                             - Intemedio 4                    

                                    - Capítulo III

                                    - Capítulo IV

                                    - Capítulo V

                                    - Aliba  ( 7 ) Junio de 1983   









Structure de la Casa de las mil vírgenes  présentée sous la forme de l’arbre du célèbre linguiste américain Noam  Chomsky.[12]



            Cet éclairage nouveau, nous permet de constater toute l’énergie considérable et l’incroyable imagination que l’auteur a dépensé pour composer la structure fort originale de e roman  qui fera travailler la matière grise de plusieurs générations de lecteurs dans le monde entier car ce roman primé a été traduit dans divers langues. L’observation de l’arbre  de Chomsky nous laisse apparaître que « La casa de las mil vírgenes » se découpe en quatre parties méticuleusement réparties et identiques.  Chaque partie comprend cinq chapitres, deux parties intitulées Aliba et une partie intitulée Intermedio. Ce qui en définitive veut dire que le roman est subdivisé en :



-          20 Chapitres

-          4 parties intitulées Aliba

-          4 autres intitulées Intermedio.



Ainsi nous pouvons aisément conclure que La casa de las mil vírgenes de Arturo Azuela constitue bien un puzzle narratif qui oblige le lecteur à une lecture vraiment participative. Durant tout le roman, il distille des bribes d’informations qui après recoupement peuvent aider le lecteur à situer à quelle période l’auteur a voulu placer sa fiction narrative.

            S’agissant du temps dans la fiction narrative de Arturo Azuela, nous ne saurons passer sous silence les travaux que le Professeur Guy Thiébaut a justement rédigé sur la structure de La casa de las mil vírgenes.



Beaucoup plus fortement structuré que le premier roman, La casa de las mil vírgenes fonctionne sur trois niveaux temporels. Le premier, qui couvre la dernière semaine du mois de novembre 1952, avant l’entrée en fonction du nouveau Président de la République, Adolfo Ruiz Cortines, relate les aventures d’une bande d’adolescents vivant dans le quartier de Santa María de la Ribera. Le second niveau, marqué dans chaque partie par le chapitre intitulé « Intermedio », met en rapport les trajectoires personnelles de certains de ces personnages avec les grands événements nationaux et internationaux qui jalonnent le passage de leur enfance à l’âge adulte. Enfin, de manière systématique, le troisième registre temporel est consacré à la narration d’Aliba, qui occupe deux chapitres dans chacune des quatre parties du roman : cet espace romanesque important envisage l’évolution de la casa, lieu mythique, depuis sa fondation au début du siècle jusqu’en juin 1983, terme du roman qui coïncide pratiquement avec sa parution.[13]

  

            Comme nous pouvons le constater, la présente œuvre de Arturo Azuela que nous étudions en ce moment se révèle beaucoup plus complexe que nous l’aurions imaginé car en tant que roman à structure brisée, sa spécificité réside sur le fait que trois niveaux temporels puissent coexister dans un seul et même roman. Le schéma que nous avions établi sur la structure de ce roman met bien en exergue les trois niveaux temporels dont parle le Professeur Thiébaut dans sa thèse de Doctorat d’Etat. Nous n’aurons pas grand chose à ajouter à cette analyse qui est suffisamment claire et peut aider ceux qui ont l’intention de lire et comprendre ce roman particulier.

            En observant La casa de las mil vírgenes et Manifestación de silencios qui sont tous deux des romans à structure brisée, nous remarquons qu’il n’y a pas une méthode unique pour aboutir à cette forme de création narrative au niveau du style. Le premier roman s’appuyait sur deux plans de narration parallèles et le second sur trois niveaux temporels. Lorsque nous élargissons notre analyse au nouveau roman hispano-américain, nous allons découvrir d’autres auteurs qui vont redoubler d’ingéniosité pour mettre à la disposition des lecteurs, des œuvres remarquables par la complexité de leurs structures.



III – La structure de La muerte de Artemio Cruz



Tout comme Manifestación de silencios ou La casa de las mil vírgenes, La muerte de Artemio Cruz de Carlos Fuentes présente une structure fort originale qui dénote un formidable sens de créativité chez cette auteur hispano-américain. Il faut voir que la particularité de la structure de ce roman est liée à l’utilisation que Carlos Fuentes fait des trois premiers pronoms personnels singuliers pour mener à bien son récit. Ces trois premiers pronoms personnels singuliers rappelons-le, « je, tu et il », renvoient à une seule et même personne qui est le tout puissant Artemio Cruz qui se trouve agonisant dans une chambre d’hôpital à Mexico. Cette trilogie que nous décelons en ce qui concerne ce personnage, n’est pas sans nous rappeler le triptyque chrétien qui nous présente Dieu sous la forme de trois personnes : le père, le fils et le saint esprit d’où le concept de la trinité. Artemio Cruz par sa richesse et son pouvoir veut égaler Dieu sur terre mais il finira tout de même par mourir en abandonnant le pouvoir, la richesse et la gloire malgré tous les bons médecins qu’il a pu réunir à son chevet.

Le roman est composé d’une succession de fragments non numérotés rédigés tantôt à la première personne du singulier, tantôt à la deuxième ou troisième personne du singulier. Ces fragments sont présentés soit au présent de l’indicatif, soit au passé simple ou au futur et auront une signification bien précise. A ce sujet, le critique littéraire Reeve écrira que :



La segunda obra, La muerte de Artemio Cruz comparte con Stout y Mc Carthy el uso de varias personas, cada una de las cuales sigue la vida de Artemio Cruz. El “yo”, narrado en el tiempo presente pinta a Cruz en su lecho de muerte; las secciones empleando el tú en el futuro son su conciencia, y el “él” narrado en tiempo pasado recuerda doce días importantes de su vida. Cada una de las tres personas se alternan durante toda la novela, hasta la muerte de Cruz en una sección usando el “tú”.[14]



Ce roman, comme nous l’avions souligné, a suscité un réel engouement dans le domaine littéraire, à tel point que beaucoup de critiques littéraires ont eu à cœur de rendre moins opaque l’esthétique de ce roman. C’est ainsi qu’ils s’intéresseront à la régularité de ces fragments en je, tu, il, et dénombreront exactement le nombre de fragments qui composent le roman. A la suite de ces travaux, ils aboutiront à une bonne compréhension de la composition textuelle et l’agencement des séquences dans le roman. Les analyses de Fernando Moreno sont assez pertinentes et suffisamment claires pour que nous songions à en citer une partie dans nos travaux afin de bien faire voir que ces romans à structure brisée obéissent à une logique cartésienne.



Le texte est composé de 38 séquences no numérotées mais séparées par un blanc typographique. Chacune de ces séquences commence, comme nous l’avons vu, par un des trois pronoms personnels et l’ordre de succession je, tu, il, est conservé.

Le texte se trouve donc organisé en 12 ensembles tripartites (avec un total de 36 séquences), auxquels il faut ajouter un treizième ensemble incomplet, formé par deux brèves séquences débutant par le je et le tu se rapportant au présent de la narration (le 10 juillet 1959).

(…) Rappelons ces douze fragments et la date à laquelle se situent les événements racontés :

1.      1941 : 6 juillet                                    7.  1915 : 22 Octobre

2.      1919 : 20 mai                                     8.  1934 : 12 août

3.      1913 : 4 décembre                             9.  1939 : 3 février

4.      1924 : 3 juin                                       10. 1955 : 31 décembre

5.      1927 : 23 novembre                           11. 1903 : 18 janvier

6.      1947 : 11 septembre                          12. 1889 : 9 avril[15]



Nous constaterons que les fragments comportant des dates précises ne sont pas classés dans l’ordre chronologique, dans le déroulement du récit. La majorité des critiques littéraires ont attribué cela à la mémoire défaillante de ce personnage qui lui ramène à l’esprit des séquences de souvenirs bien précis. Le lecteur peut parfois se retrouver à l’époque de la Révolution Mexicaine ou celle des Cristeros ou encore pendant la guerre civile de mille neuf cent trente six en Espagne. Nous allons proposer la représentation graphique que le critique littéraire fait de l’organisation temporelle du roman.





 1890

                                                                                                                                                        12



1900

                                                                                                                                                  11                 



1910

                                               3

                              2

1920

                                                                                                  7                                                             

                                                         4

                                                                        5                                                              

1930






                                                                                                                   8

                                                                                                                                9

1940

                                                                                                                    

       1

                                                                                   6

1950

                                                                                                                                              10

 


1959                                         Le 10 avril TEMPS DU RECIT [16]

 




            La narration à la première personne est faite par un narrateur autodiégétique ou tout simplement le narrateur en première personne. C’est en outre l’instance narratrice qui s’identifie à un personnage en s’impliquant dans la narration sous la forme du pronom personnel Je.

Nous pensons bien évidemment qu’il faille établir une distinction entre le narrateur en première personne qui retrace la vie d’un auteur en s’appuyant sur des faits vécus, que nous classerons comme  étant un narrateur autobiographique et le narrateur autodiégétique qui lui est un personnage d’une œuvre de fiction narrative qui a la charge de raconter sa propre histoire. Mais laissons de préférence le soin à Sánchez – Rey Alfonso de nous donner une définition précise de ce narrateur:

Es un tipo de narrador homodiegético que se caracteriza por ser el protagonista del relato el que cuenta su propia historia. Es lo que en la literatura no ficticia llamaríamos narrador autobiográfico.2

Par contre certains critiques littéraires affirment que le narrateur à la première personne n’est pas la primauté des auteurs hispano – américains. Nous citons en exemple un excellent article rédigé par Jaroslav FRYCER qui, en se penchant sur la question affirme ceci :



A partir de 1960 à peu près, nous assistons à une invasion massive du « Je » narrateur dans le roman et la nouvelle : une simple expérience de lecteur indique que cette tendance est en France peut être plus prononcée que dans d’autres littératures européennes. Du point de vue gnoséologique, l’utilisation du « Je » narrateur peut être définie comme un moyen poursuivant le but d’augmenter l’authenticité du message littéraire.[17]



































































Conclusion



            A l’issue de nos travaux de recherches, nous pouvons sans ambages,  nous risquer à affirmer sereinement que les romans à structures brisées constituent inéluctablement une forme de déstructuration du temps chronologique de la narration. Nous faisons remarquer que la panoplie restreinte, selon notre volonté, d’auteurs appartenant à la littérature hispano-américaine qui ont  fait l’objet de notre étude critique sont parvenus à cette innovation grâce à l’utilisation judicieuse de certains recours stylistiques comme le récit répétitif[18] ou la répétition discursive qui a le mérite d’empêcher le lecteur de perdre le fil du récit. Nous n’oublierons d’évoquer l’analepse, aussi dénommé flash back au cinéma et l’anticipation également dénommé prolepse qui permet à l’auteur de parler d’un événement  qui se produira dans le futur, plusieurs chapitres plus loin. Il y a aussi l’anacronie[19] qui introduit plusieurs niveaux  dans le temps du récit. L’introduction d’une narration avec trois séquences commençant  par Je, Tu, et Il, comme dans la muerte de Artemio de Cruz de Carlos Fuentes.[20]



Esta segunda persona ha sido llamada por un critico “ un coro admonitorio”, y por el mismo Fuentes, como el” subconsciente” que se aferra a un porvenir que el “yo” – el viejo moribundo – no alcanzará a conocer a conocer”. En algunos casos el uso del “tú” puede informar al lector sobre los sucesos del pasado que no han sido cubiertos en los doce días significativos de las partes del “él”, o pueden contener ensayos breves sobre Méjico, su sociedad, religión y costumbres.[21]



En outre, avec l’avènement, au siècle dernier, des romans à structure brisée, nombreux sont les critiques littéraires qui admettent que le lecteur du nouveau roman hispano – américain n’est plus confiné à un rôle passif car il doit s’évertuer à démêler l’écheveau que constitue le puzzle narratif que l’auteur s’est ingénié à concevoir tout spécialement à son intention. Il devient alors actif afin d’accéder à une meilleure compréhension du roman.









BIBLIOGRAFIA



[1] Azuela, Arturo : Manifestación de Silencios

                                  Seix Barral, S.A., Barcelona, 1980, 331p.



2 Azuela, Arturo : La casa de las mil vírgenes

                                 Editorial Joaquín Mortiz S.A., Barcelona, 1983, 302p.



3 Fuentes, Carlos : La muerte de Artemio Cruz

                                   Edición de José Carlos González Boixo, 2000, Madrid, España, 417 p.



4 Giacoman, Helmy F. : Homenaje a Carlos Fuentes

                                          Anaya, Madrid, España, 1971, 494 p., p. 82



5 Gerard Genette : Figure III

                                   Edition du Seuil, Paris, France, 1972, 292 P., P 105

6 Jaroslav Frycer : Réflexion sur la fiction in Figures, jeux de fiction

                                 C.C.R. sur l’image, le symbole, le mythe, Dijon, France, 1983,119p. p.37



7 Jean – Michel PANGUERE : Temps et Histoire dans l’œuvre de Arturo Azuela

                               Thèse de Doctorat Nouveau Régime, Université de Bourgogne,  France, 2003,   p.163, 500 p. T.I



8 Moreno, Fernando: Carlos Fuentes. La muerte de Artemio Cruz, entre le mythe et l’histoire

          Editions caribéennes, Paris, 1989,  p. 59 – 61



9 Milagros Ezquerro : Théorie et Fiction, Le nouveau roman hispano- américain.

                                          Imprimerie SACCO, Toulouse, France, 1983, P. 39 – 40



10 R. M. Reeve : Carlos Fuentes y el desarrollo del narrador en segunda persona : un ensayo exploratorio en       “Homenaje a Carlos Fuentes” de Helmy F. Giacoman, P. 85



11 Rulfo, Juan : Pedro Páramo

                           catédra, Letras hispánicas, Madrid, 2000, 188p.



12 Sánchez – Rey, Alfonso : El lenguaje literario de la nueva novela hispánica

                                                  Editorial MAPFRE, 1951, 368 p., P.76



13 Thiebaut, Stéphanie : El tiempo en La casa de las mil vírgenes

                                            Tesina 1996, Université de Bourgogne, p.



14 Thiébaut, Guy : La contre-révolution mexicaine, Histoire, littérature et société, l’exemple du roman cristero de

                               1926 à nos jours.

                          Thèse de Doctorat d’Etat, Université Charles de Gaulle de Lille III, Janvier 1993, T.III, p.970, 228 p.



Mots clefs

Romans à Structure brisée _ Nouveau roman hispano – américain _ Narrateurs



[1] Azuela, Arturo : Manifestación de Silencios
                               Seix Barral, S.A., Barcelona, 1980, 331p.
[2] Azuela, Arturo : La casa de las mil vírgenes
                               Editorial Joaquín Mortiz S.A., Barcelona, 1983, 302p.
[3] Rulfo, Juan : Pedro Páramo
                           catédra, Letras hispánicas, Madrid, 2000, 188p.
[4] Fuentes, Carlos : La muerte de Artemio Cruz
                               Edición de José Carlos González Boixo, 2000, Madrid, España, 417 p.
[5] Gerard Genette : Figure III
                               Edition du Seuil, Paris, France, 1972, 292 P., P 105
[6] Gerard Genette : O.C. P. 90
[7] Jean – Michel PANGUERE : Temps et Histoire dans l’œuvre de Arturo Azuela
                               Thèse de Doctorat Nouveau Régime, Université de Bourgogne,  France, 2003,   p.163, 500 p. T.I
[8] Jean – Michel PANGUERE : O.C. p.173, 500 p.173, 500p. T.I
[9] Thiebaut, Stéphanie : El tiempo en La casa de las mil vírgenes
                                         Tesina 1996, Université de Bourgogne, p.
[10] Azuela, Arturo: Op. cit., p. 300
[11] Azuela, Arturo: Op. cit. p. 227
[12] Jean – Michel PANGUERE : Temps et Histoire dans l’œuvre de Arturo Azuela
                               Thèse de Doctorat Nouveau Régime, Université de Bourgogne,  France, 2003, p.192, 500p.
[13] Thiébaut, Guy : La contre-révolution mexicaine, Histoire, littérature et société, l’exemple du roman cristero de
                               1926 à nos jours.
                          Thèse de Doctorat d’Etat, Université Charles de Gaulle de Lille III, Janvier 1993, t.III, p.970, 228 p.
[14] Giacoman, Helmy F. : Homenaje a Carlos Fuentes
                                          Anaya, Madrid, España, 1971, 494 p., p. 82
[15] Moreno, Fernando: Carlos Fuentes. La muerte de Artemio Cruz, entre le mythe et l’histoire
          Editions caribéennes, Paris, 1989,  p. 59 – 61
[16] Moreno, Fernando : O. C. P.62
2 Sanchez – Rey Alfonso : Op. Cit. p. 359

[17] Jaroslav Frycer : Réflexion sur la fiction in Figures, jeux de fiction
                                 C.C.R. sur l’image, le symbole, le mythe, Dijon, France, 1983,119p. p.37
[18] Sánchez – Rey, Alfonso : El lenguaje literario de la nueva novela hispánica
                                                  Editorial MAPFRE, 1951, 368 p., P.76
[19] Gerard Genette : O. C. P.89
[20] Milagros Ezquerro : Théorie et Fiction, Le nouveau roman hispano- américain.
                                          Imprimerie SACCO, Toulouse, France, 1983, P. 39 - 40
[21] R. M. Reeve : Carlos Fuentes y el desarrollo del narrador en segunda persona : un ensayo exploratorio en     “Homenaje a Carlos Fente” de Helmy F. Giacoman, P. 85

Aucun commentaire:

Membres